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Viviane, une apprentie à la détermination de fer

A 29 ans, Viviane Charitat est apprentie en serrurerie-métallerie, une filière très peu féminisée. En choisissant cette formation il y a quelques mois, la jeune Lotoise ne s’attendait pas à intégrer un milieu où les préjugés machistes sont, encore aujourd’hui, omniprésents.

Les cheveux retenus en arrière par un épais bandana noir, Viviane Charitat travaille une volute en fer forgé, sa dernière création, sous le regard attentif de son formateur. À travers la vitre de l’atelier, quelques curieux se regroupent pour l’observer.

Au centre de formation pour les apprentis du bâtiment de Rueil-Malmaison (92), les femmes sont rares. Quatre cette année, pour près de 500 élèves. Dans la filière CAP serrurerie-métallerie, à laquelle l’apprentie de 29 ans se forme depuis septembre, elles ne sont quasiment pas représentées.

«Le travail du métal est vu comme un métier qui nécessite une importante force physique et serait donc réservé aux hommes», explique Viviane, qui est désormais habituée à être au centre de l’attention. Elle-même reconnaît ne jamais avoir croisé d’autres femmes «qui faisaient le même métier».

Une seule condition : être en bonne forme physique

Pourtant, Marc Legey, son formateur en ferronnerie, le garantit : ce domaine serait «aussi accessible pour les hommes que pour les femmes», à condition d’être en bonne forme physique. Il assure d’ailleurs ne faire aucune distinction entre ses élèves «filles ou garçons» dans sa façon d’enseigner. Et, avec son mètre 65 et ses 50 kilos, Viviane, qui se décrit comme «une crevette», se veut la preuve que n’importe qui de motivé peut devenir serrurier-métallier, indépendamment de son physique ou de son parcours.

La jeune femme à la combinaison bleu et jaune n’a, en effet, pas toujours su qu’elle exercerait une profession si peu féminisée. Après avoir arrêté ses études en seconde, elle enchaîne les petits boulots : palefrenière, employée chez McDonald’s ou encore assistante dentaire, Viviane ne trouve pas sa vocation.

Une révélation en 2015 à la forge du parc médiéval à Cahors

Jusqu’en 2015, lorsque sa petite sœur, gérante d’un parc de démonstration médiévale à Cahors, lui propose de travailler à la forge, qui manque de main d’œuvre. «Ç’a été une révélation», se remémore, en souriant, la Lotoise aux yeux bruns. Elle qui n’avait jamais exercé de métier manuel, se met à fabriquer fourchettes, couteaux et pics à viande en fer forgé, sous les conseils avisés du maître de l’atelier, Dominique Delbarry.

«Viviane était meilleure que tous les garçons que j’avais formés jusque-là, se souvient le forgeron de 65 ans avec nostalgie. Malgré les difficultés physiques, elle n’a jamais abandonné.» Petit à petit, les pièces de l’apprentie forgeronne deviennent plus fines et détaillées, et au bout de trois années d’expérience auprès de son «mentor», Viviane décide de quitter le parc, pour faire de sa passion pour le métal son métier.

Après plusieurs semaines de recherches, Viviane a reçu une réponse positive d’une petite entreprise familiale qui l’a embauchée et permis de démarrer sa formation en alternance.

Le BTP, un milieu «macho» 

L’artisane extravertie s’installe alors en région parisienne et postule auprès d’une soixantaine d’entreprises de chaudronnerie industrielle, pressée de mettre ses nouvelles compétences au service d’un atelier. Mais elle déchante rapidement, lorsque l’une d’entre elles la rappelle pour lui expliquer «ne pas savoir quoi faire faire à une femme». Ses autres candidatures restent sans réponse.

«Le milieu du BTP est macho», reconnaît Pierre Gomez, directeur du centre de formation de Rueil-Malmaison. Il souligne que ses élèves femmes ont toujours «plus de mal que les hommes» à être embauchées. En 2018, le secteur du bâtiment comptait seulement 1,5% de femmes parmi les ouvriers, selon la Fédération Française du Bâtiment.

Mais la forgeronne au caractère aussi trempé que le métal qu’elle travaille s’obstine, et, après plusieurs semaines de recherche, reçoit finalement une réponse positive d’une petite entreprise familiale qui fabrique et répare des pièces métalliques en tout genre : La Forge de Fourqueux.

Franck Dorothée, le gérant de l’atelier, accepte de prendre Viviane en alternance, à condition qu’elle se forme au CFA de Rueil-Malmaison, où il a lui-même été apprenti. La raison pour laquelle l’artisane a eu tant de mal à être recrutée paraît, à ses yeux, évidente.

Une législation parfois décourageante pour les employeurs

«Quand on embauche une employée, la loi dit qu’on doit installer un vestiaire et des sanitaires supplémentaires pour femmes, explique le ferronnier. C’est un vrai frein, surtout dans une PME.» Cependant, il n’est pas toujours nécessaire d’implanter ces infrastructures contraignantes et coûteuses.

Seule femme de son entreprise, Viviane a accepté de signer une décharge afin que l’atelier, qui ne compte qu’un vestiaire, n’ait pas à déstructurer ses locaux pour elle. «J’arrive tous les matins en tenue et je n’enfile que mes chaussures de sécurité sur place, cela ne me dérange pas», assure l’apprentie, qui craint que cette législation ne décourage des employeurs «déjà sceptiques à l’idée d’embaucher des femmes».

Car pour Viviane, les femmes qui choisissent le domaine du métal doivent déjà faire face à un stéréotype persistant : elles n’auraient pas la force physique nécessaire, alors «qu’on imagine communément le forgeron grand et costaud». Un cliché «vrai autrefois» qui n’a néanmoins «plus lieu d’être», selon elle. La jeune artisane assure qu’il existe aujourd’hui tous les outils nécessaires pour l’aider à soulever de lourdes charges.

Elle regrette que ce préjugé puisse empêcher certaines femmes de se lancer dans un milieu déjà très masculin, où les entreprises se transmettent «de père en fils». Alors, pour encourager les femmes à faire fi des idées reçues, Viviane n’hésite pas à prendre la parole dans des salons professionnels. L’occasion de raconter son parcours et de démontrer, par sa seule présence, que les mœurs peuvent évoluer.

Source : Apiedoeuvre.fr /Juliette Mansour*

*Lauréate du Prix de l’Ecrit pour le concours Les Talents à la Une, organisé par l’Association des journalistes de la Construction

 

 

 

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